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Quel leadership ecclésial dans la paroisse-réseau?

Morceaux choisis de l'intervention du théologien Arnaud Join-Lambert.

“S’il est bien clair que tous les baptisés, donc les laïcs, sont responsables de l’évangélisation(1), il ne suffit pas de l’affirmer pour rendre compte effectivement de ce que cela recouvre, ni de l’articulation entre “quelques-uns” (ministères ordonnés et autres responsables) et “tous” (les baptisés qui se sentent concernés). Si la paroisse de demain est un réseau, il faut y questionner le leadership sans lequel aucune réalité humaine ne peut durer.


Un “par tous” ?
Assemblee Synode 2 254 Assemblee Synode 2 254  Au “tout, pour tous, en un lieu” définissant la paroisse traditionnelle, la paroisse de demain devra ajouter un “par tous”, à entendre ici comme l’appel à tous les baptisés et la possibilité pour chacun de déployer ce dont il est capable pour la mission. La paroisse de demain sera la réalisation concrète de plusieurs affirmations conciliaires, dont Lumen gentium nº 32 : “Même si certains, par la volonté du Christ, sont institués docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité”. Il s’agit de valoriser effectivement les charismes et vocations, exprimés dans les désirs et discernés en Église, une mise en oeuvre réelle du “sacerdoce commun” dont on parle tant depuis cinquante ans. On pourrait ici revisiter l’analogie fondatrice paulinienne de l’Église et du corps (1Co 12), à l’aide d’une pensée de Pascal à l’aube de la modernité : “Qu’on s’imagine un corps plein de membres pensants”.(2) Le mot “pensants” ouvre vers une participation active et autonome à l’édification du corps entier, là où le texte de saint Paul pouvait laisser entendre une organicité passive. Pour concrétiser ce changement, le théologien anglican Pete Ward propose de faire du nom church un verbe : “I church, you church, we church”(3). Ce serait en français un verbe “égliser”, pas très joli, mais stimulant, et plus riche que le “faire Église” auquel nous sommes habitués.

 

Les responsabilités à chaque dimension du réseau
Pour ne pas sombrer dans l’utopie stérile, nous sommes invités à puiser dans le réel. La dimension du quotidien, des grandes étapes de la vie et de la proximité (la paroisse traditionnelle que nous connaissons) serait portée par la figure du curé ; la dimension de sortie vers l’autre aux périphéries (chères à notre pape François) par celle de l’aumônier ou de l’aumônière (alors une figure diaconale) ; la dimension de la vie intérieure par celle du moine ou de la moniale (l’“expert” spirituel). On aurait alors un triptyque encore familier d’exercice du ministère pastoral dans l’Église catholique. Le ministère de moine ou de directeur spirituel devrait tout de même être développé comme un nouveau type de leadership complémentaire à celui du curé. 

Le défi principal est ici l’abandon de l’illusion de vouloir tout couvrir qui anime et structure les paroisses actuelles depuis leurs origines médiévales, mission assumée au premier chef par le curé, comme le montre la description de ses tâches dans le Code de droit canonique (can. 528 et 529).


Un ministère de communion au service de la paroisse-réseau
Si l’évêque a, et aura toujours, dans l’Église-réseau un ministère de communion ad intra et ad extra avec l’Église universelle, faut-il que les responsables des paroisses-réseaux de demain soient des “mini-évêques” comme l’étaient partiellement les curés dans les paroisses traditionnelles ? Ce ministère nouveau de communion nécessite des compétences reconnues pour gérer une réalité très complexe. Cela pourrait être le fait d’un “coordinateur professionnel”. Ce ministère devrait-il être associé obligatoirement au sacrement de l’ordre, donc ici à une présidence eucharistique et à d’autres sacrements ? Cela ne paraît pas immédiatement nécessaire, mais la question n’est pas simple.

On voit combien les réformes “paroissiales” ne peuvent pas écarter des réflexions sur les réformes diocésaines. Le réalisme invite à considérer le “niveau” actuel du doyenné comme celui du déploiement de cette paroisse-réseau. Le coordinateur (doyen, “doyenne”) assumerait alors un ministère adjoint au ministère pastoral de l’évêque, ayant pour finalité première de veiller au bon déploiement des trois dimensions, portées concrètement par des curés-prêtres, des aumôniers et aumônières, des moines et moniales. Tous ces ministres seraient autonomes, travaillant en équipe avec des laïcs.
On voit dans ce schéma que la présidence eucharistique est d’abord celle de l’évêque pour la portion de l’Église universelle, mais aussi celle du curé-prêtre dans la communauté locale. Il est impossible de concevoir une communauté chrétienne stable non structurée autour de l’assemblée eucharistique. Cela interroge très fortement nos structures et pratiques actuelles.”

 

Arnaud Join-Lambert,
université catholique de Louvain
arnaud.join-lambert@uclouvain.be


1. Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi
(1975) n° 70, dans la continuité des constitutions
conciliaires Lumen gentium et Gaudium et spes.
2. Blaise Pascal, Pensées, n° 473 éd. de Brunschvicg, n° 704
éd. Pléiade. Voir le magnifique commentaire d’Éloi Leclerc, Rencontre
d’immensités. Une lecture de Pascal, Paris, DDB, 1993, p. 153-157.
3. Pete Ward, Liquid Church, Eugene OR,
Wipf & Stock, 2013 [1re d. 2002], p. 3.

 

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