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A l'école du Christ initiateur

Interview du Père Christophe Théobald, jésuite, à propos de son intervention à Ecclesia 2007 le samedi 27 octobre : "A l'école du Christ Initiateur".

 


Ecclesia_itw_theobald par ecclesia2007

 

 

 

Le contenu de l'intervention de 

À l’école du Christ Initiateur

Introduction

Appeler le Christ initiateur ou pédagogue est une idée très ancienne qui vient à l’esprit quand on médite les récits évangéliques dans une perspective catéchétique. Il est en effet normal que celui désire transmettre la foi, regarde comment le Christ s’y est pris avec les difficultés et les succès que nous connaissons. Le Texte National pour l’Orientation de la Catéchèse en France demande à plusieurs reprises aux catéchistes de se mettre à l’école du Christ. Le suivre comme disent nos évangiles ou l’imiter comme dit l’apôtre Paul, nous fait entrer dans la mystérieuse cohérence de la vie du Christ et laisse advenir notre propre cohérence. Une vie de foi a besoin d’exemples rappelle le Texte National. Et comme le Christ est une figure d’identification pour nous, à un tout autre niveau, nous pouvons devenir sans nous en apercevoir, une référence pour ceux et celles qui nous sont confiés, des aînés dans la foi, selon la belle expression du Texte National. Mais le Christ ne nous communique pas seulement sa manière de vivre. Il nous confie aussi son art de pédagogue, art qui n’est pas sans lien avec la cohérence de son existence et son rayonnement.

En quoi consiste cet art et comment nous le communique-t-il ? C’est la question à laquelle je voudrais répondre ce matin.

Dans un 1er temps, je proposerai…

  1. Une image globale de la pédagogie du Christ. 
    Je montrerai ensuite…
  2. Comment il engage celles et ceux sur un chemin
  3. Un jour, sur ce chemin de liberté, nous pouvons entendre l’invitation à avancer au large et affronter, avec le Christ les rendez-vous décisifs de la vie. 
    C’est par cette ultime étape que je terminerai mon parcours.

1.La pédagogie du Christ

La condition principale de toute initiation est la crédibilité de celui qui initie. Cela vaut dans tous les domaines de l’existence. Qu’il s’agisse des parents qui apprennent à leurs enfants à s’orienter dans la vie, de l’institutrice et de l’enseignant qui initient à la lecture et à l’écriture, du chef d’équipe qui tente de fédérer ses collaborateurs autour d’un même projet etc. Nous le savons bien : ce n’est pas seulement ce qu’on dit à autrui qui le convainc mais aussi la manière de le lui dire. Ce n’est pas seulement la compétence technique qui fait que son message passe mais surtout son humanité. En définitive la crédibilité de celui qui initie est faite d’une multitude de facteurs qui défient toute stratégie de communication. C’est l’image qui se dégage de lui à son insu, sa cohérence qui font qu’on lui fait confiance.

Quand on ouvre les évangiles, on y trouve la même condition fondamentale de toute transmission exprimée ici en terme d’autorité. D’entrée de jeu, Marc nous met face à l’autorité de Jésus. « Ses auditeurs étaient frappés de son enseignement. Car il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes. » Plus tard l’évangéliste nous raconte comment Jésus passe, transmet son autorité à ceux qu’il envoie. Disons qu’il leur passe ce qu’il est, ce qu’il dit et ce qu’il fait, sa manière d’être qu’il aimerait tant voir partagée par les siens. Où est le secret de la crédibilité de Jésus ? Qu’est-ce qui fait que son autorité est reconnue même s’il inquiète certains ? Je voudrais mettre en valeur trois facettes de sa manière d’être qui nous font comprendre pourquoi il a été reçu et qui peuvent encore nous inspirer dans nos propres tâches pédagogiques.

D’abord et avant tout la référence à l’Evangile de Dieu. Jésus ne revendique jamais d’être la source de sa propre autorité. Il renvoie à plus grand que lui. L’évangile n’est pas un savoir supplémentaire ou une information qu’il faudrait capter, mais une nouvelle de bonté radicale, qui est chaque fois nouvelle au moment où on l’entend réellement. Cette nouvelle retentit depuis toujours dans nos existences humaines. Le premier récit de la création la fait déjà résonner en mettant en scène le regard de Dieu sur sa création. « C’est bon, c’est bon, c’est très bon », clame la voix de Dieu jour après jour.

Mais cette nouvelle est-elle crédible ? L’état du monde et le mal sous toutes ses formes, le mal-heur, la mal-adie, la mal-veillance ne sont-ils pas un démenti quotidien de ce que nous souffle cette voix ? On comprend que Jésus ne peut pas annoncer l’évangile en son propre nom et que le Nouveau Testament le relie intimement à Dieu. L’évangile ne peut être que de Dieu. Formule qu’on pourrait aussi traduire en parlant de Dieu comme nouvelle de bonté inouïe, ce qui nous permettrait, soit dit en passant, de sortir de l’ambiguïté du mot Dieu, mot tellement chargé de choses inacceptables.

L’existence entière de Christ est consacrée à rendre présente cette nouvelle de bonté inouïe, à faire retentir ici et maintenant la voix de Dieu en s’affrontant concrètement au mal qu’il rencontre. C’est la deuxième facette de sa crédibilité. On peut compter sur lui, parce qu’il dit ce qu’il pense et fait ce qu’il dit. En lui, pensée, parole et acte concordent absolument dans une sorte de simplicité, immédiatement accessible à autrui. S’il parvient à communiquer ce qu’il habite à celui qui se présente sur son chemin, sa simplicité et sa santé, pourrait-on dire, c’est qu’il est aussi capable d’apprendre de cet autre ce qu’il est lui-même et ce qu’il peut faire. D’épisode en épisode, les récits évangéliques montrent ainsi l’étonnante distance du Nazaréen par rapport à sa propre existence. Parlant d’un autre, du Fils de l’homme par exemple, du semeur ou encore du maître de maison, quand il lui arrive de parler de lui-même, il ajourne dans cesse la question de son identité. Il refuse de la fixer prématurément. Il crée par là un espace de liberté autour de lui. Tout en communiquant par sa simple présence une proximité bienfaisante à ceux et celles qui viennent à sa rencontre, il perçoit ce qui est enfoui en eux, la foi en la vie qui n’attend qu’à être réveillée dans telle ou telle situation limite. On l’aura compris : pour Jésus de Nazareth, l’évangile n’est pas un simple mot ou une information à donner mais une réalité qui prend effectivement corps dans ses relations, grâce à sa manière d’engager celles-ci. Ce qui est annonce la troisième facette de sa crédibilité de pédagogue.

Jésus fait retentir la voie de l’évangile dans un cadre humain précis, toujours marqué par un climat d’hospitalité. Cela se passe souvent à l’improviste, sur les routes, et au bord de la mer, mais aussi dans les lieux de rassemblement comme les synagogues et surtout dans des maisons où il mange avec le tout-venant. Jésus se laisse dépasser par ce qui arrive. Il est capable de percevoir ce qui advient en autrui, il est capable d’entendre la voix de Dieu qui retentit déjà discrètement en ceux et celles qu’il rencontre sans qu’ils s’en aperçoivent. Cela nécessite un espace de confiance et de liberté où des étrangers peuvent devenir tout simplement familiers. En méditant les récits évangéliques, on voit se passer réellement au jour le jour ce que l’Epître aux Hébreux nous dit d’une manière ramassée : « N’oubliez pas l’hospitalité ! Car grâce à elle, certains sans le savoir, ont accueillis des anges. » En entendant ce bon conseil, on voit en même temps Abraham aux porte de sa tente où Sarah s’est retirée et le messager, l’ange, un seul, deux, trois, en tout cas des messagers d’un évangile d’une bonté radicale et d’une fécondité inouïe. « Qui est l’hôte ? » nous demandons-nous. Celui qui accueille, Abraham ? Jésus se découvre accueilli par l’autre qui se présente devant lui toujours à l’improviste. C’est là donc l’ultime secret de l’autorité de Jésus et de ceux auxquels il la passe. La référence à plus grand que soi, l’évangile de Dieu. Evangile de Dieu à rendre ici présent et maintenant, pour autrui, quel qu’il soit. Et troisièmement, en sachant que cette nouvelle de bonté radicale est déjà à l’œuvre en autrui, ce qui ne peut se révéler que dans un espace d’hospitalité. Ces trois facettes de la manière d’être de Jésus de Nazareth avec autrui nous font comprendre pourquoi il a été reçu par certains et nous remettent devant la condition principale de toute pédagogie d’initiation, que nous pouvons maintenant résumer en revenant au Texte d’orientation de nos évêques ; un esprit de gratuité.

Tout le monde sait intuitivement que l’initiation ne se réduit pas à une stratégie. Il ne suffit pas de réunir quelques moyens pédagogiques et de construire un parcours pour arriver faire passer un message et l’inculquer à autrui. Cela vaut pour tous les lieux d’enseignement, l’école, l’université, l’apprentissage professionnel et à fortiori pour nos lieux ecclésiaux de catéchèse ou de formation. Personne n’est plus lucide qu’un jeune par rapport à des tentatives subtiles de le mener là où il ne voudrait pas aller. Personne ne se laisse plus aisément convaincre par la qualité humaine et spirituelle d’un aîné dans la foi, qu’un enfant. Certes, et le texte des évêques le soulignent à juste titre, proposer une démarche à quelqu’un demande de la rigueur de la part de celui qui en est responsable. Il doit savoir au départ quelles sont les étapes qu’il invitera à enchaîner. Mais cette rigueur est au service de la liberté des personnes. Nous touchons ici, chers amis, au paradoxe fondamental de la pédagogie de Jésus, son esprit de gratuité absolue.

Certes, il est déterminé à aller jusqu’au bout de sa mission, mais en même temps il se montre radicalement libre par rapport à sa propre détermination, toujours prêt à se laisser surprendre et étonner par celui auquel il propose l’évangile. Avec beaucoup de justesse, le texte de nos évêques distingue ce qui relève de la mission catéchétique de l’Eglise et ce qui appartient à Dieu seul. Je le cite : « En régime chrétien, on est initié par Dieu lui-même qui nous donne part à sa vie. Une pédagogie qui relève de l’initiation, est une démarche qui cherche à réunir les conditions favorables pour aider les personnes à se laisser initier par Dieu qui se communique à eux. » Sans hésitation, nous pouvons dire la même chose de la pédagogie du Christ, telle que les récits évangéliques nous la font découvrir. Par sa manière d’être avec lui, avec autrui, tout empreinte de respect et de gratuité en même temps que de fermeté et de détermination, Jésus réunit les conditions favorables pour laisser Dieu lui-même faire œuvre d’évangile en ceux et celles qu’il rencontre : « Mon fils, ma fille, ta foi t’a sauvé. » Telle est chaque fois la conclusion paradoxale de ces rencontres initiatiques.

Cette manière d’être, le Christ la passe à son Eglise et à nous qui nous trouvons souvent être aînés dans la foi. Elle n’est jamais acquise une fois pour toutes et suppose de notre part une conversion permanente. Nous y résistons bien sûr mais, chaque fois que nous rencontrons un catéchumène, un groupe de catéchèse ou que sais-je encore, nous sommes à nouveau dans la situation pédagogique du Christ qui nous invite à adopter son doigté humain et spirituel. C’est un long processus. Seule une lecture continue et à plusieurs de nos Ecritures, des évangiles en particulier, peut progressivement façonner en nous la manière d’être du Christ, condition de l’autorité indispensable à notre mission catéchétique. Ces récits nous révèlent non seulement l’extraordinaire cohérence humaine et divine de Jésus mais aussi comment il s’y prend pour mettre sur un chemin ceux et celles qu’il rencontre. C’est ce que je montrerai tout de suite.

2. Un chemin et trois étapes

2.1 Au commencement, une présence qui guérit.

Je voudrais d’abord vous faire part d’un étonnement. La toute première activité du Christ est celle de guérison ou de restauration de la vie. Les évangiles synoptiques sont unanimes sur ce point. Jésus se montre d’abord et avant tout sensible à ce qui risque de barrer l’accès à l’évangile de Dieu, toute maladie et toute infirmité parmi le peuple. Il pose des gestes et dit des paroles qui suscitent en ceux et celles qu’il rencontre, des forces d’auto guérison, pourrait-on dire, une énergie de vie qu’il nomme foi. C’est parce qu’il est lui-même habité par la nouvelle d’une bonté radicale et parce qu’il est convaincu que l’acte de foi qui ouvre cette source de vie est un don fait à tous, qu’il commence à se rendre proche de ceux et celles qui ont du mal à y accéder, les défavorisés, les malades, les exclus, les pauvres.

Vous allez me demander ce que ces scènes de guérison ont à faire avec la pédagogie du Christ et avec l’éducation de la foi. Pourtant à ne prêter attention à ces débuts du ministère de Jésus, nous risquons de laisser les guérisons être l’affaire des groupes évangéliques de plus en plus présents en milieu populaire ou d’uniquement les renvoyer à des thérapeutes de toutes sortes, fréquentés par des populations plus aisées et de réduire la catéchèse à un enseignement. Or l’initiation implique nécessairement un aspect de guérison. La pédagogie du Christ consiste à partir toujours du point où se trouvent ses interlocuteurs ou hôtes, quels qu’ils soient par ailleurs. Il entend leur désir de réussir leur vie et respecte leur lutte avec les handicaps, les maladies et les malheurs de toues sortes. Mais il sait aussi qu’enfouie en eux se trouve l’unique source capable de les rendre heureux quel que soit leur état et de les réconcilier avec l’existence unique qui est la leur. Cette source c’est la foi qui fait crédit à la vie et ultimement à la bonté radicale de Dieu. C’est accepter de ne pas pouvoir dire avec précision et une fois pour toutes ce que réussir veut dire, tout en faisant confiance. Une telle foi élémentaire est nécessaire pour vivre au jour le jour mais elle souvent menacée englouti dans notre incapacité à sortir la tête de l’eau. Jésus commence son ministère en suscitant cette foi au cœur même des détresses, en la restaurant, en la ressuscitant.

Le Texte sur l’organisation de l’action catéchétique présente une multitude de situations différentes ; les étapes de la vie, nos lieux et regroupements de vie, familles, espaces scolaires, aumôneries, associations, les rassemblements qui rythment l’année liturgique et les demandes sacramentelles plus ponctuelles. Dans chacune de ces situations de plus en plus éclatées et de plus en plus éphémères, le Christ pédagogue nous apprend à nous rendre sensibles au point de départ de nos interlocuteurs et de nos hôtes. Nous rencontrons souvent des groupes. Or l’art pédagogique consiste à entendre dans l’intervention de quelqu’un, souvent entre deux portes, ou à mi mots, sa tristesse, un souci ou encore sa lutte pour la santé, à lui lancer une bouée et à susciter en lui par une parole ou par un geste les forces de vie enfouies.

Quand on a un groupe devant soi auquel on veut faire passer un message, il est difficile de rester attentif, éveillé aux besoins de telle ou telle personne dans sa singularité. « La centième brebis », dit Jésus. C’est pourtant ce que les récits de guérison nous font comprendre. Parfois il nous faut faire appel à des savoir faire, voire des métiers différents des nôtres. Le don de la vie exige un maximum de compétences sans oublier que cette aide ne peut remplacer l’environnement communautaire où des forces de vie peuvent surgir et s’exprimer.

Pour tous, un langage poétique. Si certains seulement bénéficient des guérisons de Jésus, ses paraboles sont adressées à tous. Comme le bâton de Moïse qui fait sortir l’eau du rocher, les paraboles sont destinées à ouvrir des sources de vie enfouies dans le cœur de chacun et dans l’univers. Ces petits récits métaphoriques ont une force spécifique. Ils sont capables d’indiquer au sein de la vie ordinaire des possibles inouïs qui sans ces paroles resteraient inaperçues. Ils proposent à leurs destinataires une traversée. Déroutés et travaillées par les limites de la vie, nos sens, notre manière de voie et d’entendre doivent se laisser convertir pour percevoir dans la vie un avenir. C’est le rôle de la poésie.

Notons donc que l’enseignement de Jésus ne propose pas un savoir mais initie à une expérience de foi, expérience que personne ne peut faire à la place de l’autre et qui a toujours une facette absolument singulière. Ce que j’ai déjà dit de l’espace de liberté marqué par un climat d’hospitalité s’applique en particulier à cette deuxième étape de la pédagogie de Jésus. C’est son langage qui est hospitalier. Il n’étale pas des informations dont il aurait le secret, ni ne commence par énoncer des injonctions qui le mettraient dans une position de privilégié. Mais comme un conteur, il transporte ses auditeurs sur une autre scène. Au bord de la mer, il leur parle par exemple du champ ensemencé par le semeur, pour que ses auditeurs puissent voir et approcher leur propre existence et la société de manière nouvelle et y percevoir les germes du royaume de Dieu. En effet les paraboles abordent toute la réalité, la nature, l’agriculture et la pêche, le commerce, la dimension sociale et politique de nos existences. La religion est quant à elle très peu présente et souvent de manière critique. Pensez au prêtre, au lévite et au samaritain. Le réel est convoqué pour faire comprendre toutes les dimensions de notre vie relationnelle. Trouver Dieu comme évangile, comme bonne nouvelle en toutes choses.

Mais le génie pédagogique de Jésus ne consiste pas seulement dans le fait d’avoir trouvé les mots qui ouvrent le secret de la vie. Il est d’avoir parlé de telle manière que d’autres à sa suite ont pu risquer leur propre parole et inventer d’autres paraboles. Le Nouveau Testament est la trace de cette créativité parabolique. Il nous invite à engager un travail poétique et artistique susceptible d’exercer dans notre culture cette fonction d’ouverture que possèdent les paraboles de Jésus. Mais rassurons-nous ! Il ne faut pas être poète pour être catéchiste. Une fois de plus, nous sommes invités à faire appel à ceux et celles d’entre nous qui ont d’autres compétences ; conteurs, metteurs en scène, poètes, spécialistes de l’image et de l’audio-visuel et que sais-je encore. Toutefois, ne nous déchargeons pas trop vite sur eux. Nous risquerions d’oublier de découvrir la poésie cachée dans nos existences, ces multiples épisodes de notre vie quotidienne qui, quand ils sont racontés de manière vraie, ouvrent une source de vie à autrui.

Apprendre à être bon et vrai avec autrui. Après avoir proposé à certains une guérison et à tous la découverte des choses cachées depuis les origines du monde, Jésus initie les uns et les autres à exercer une bonté sans limite vis-à-vis d’autrui, sans acception de personne, à l’image de la bonté de celui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Le décalogue se situe parmi les quatre piliers de la catéchèse. Le Texte national rappelle et Jésus de Nazareth présuppose toujours la Loi qu’en juif pieux il pratique lui-même. Mais il sait aussi que le simple rappel du commandement de Dieu ne règle rien. Certes, la Loi et la sanction entraînée par sa transgression sont une protection nécessaire de toute société contre la violence.

Mais la fragilité et la vulnérabilité de l’homme sont telles qu’il ne fait pas toujours ce qu’il veut et s’étonne après coup, s’effraye parfois face à ce qu’il a pu provoquer. Pour faire du bien à autrui, même au prix de sa propre vie, il faut faire appel à des ressources en nous autres que la crainte devant la sanction : le plaisir de voir le bien triompher en nous et autour de nous plutôt que les forces de mort, la joie de transmettre ce plaisir du bien. La pédagogie de Jésus repose précisément sur cette joie, sur sa santé contagieuse qui se laisse affecter par la faiblesse d’autrui mais non pas accabler.

On comprend que l’entrée dans cette qualité de vie avec autrui, appelée éthique, nécessite un long processus d’apprentissage qui implique au moins deux, sinon trois aspects :

  • D’abord l’absolu priorité de la nouvelle de bonté radicale et la joie que peut procurer le rayonnement de ceux qui en vivent, nos aînés dans la foi, hommes et femmes des béatitudes, pourrait-on dire.
  • Ensuite, l’appel qui retentit dans la rencontre de nos aînés, l’appel à la décision de s’engager, parfois jusqu’à mettre sa propre vie en jeu, ici et maintenant.
  • Ensuite et parfois une compétence spécifique de discernement caractéristique de notre modernité, dans les différents domaines de la vie sociale et politique – Pensons seulement aux questions éthiques qui entourent aujourd’hui la naissance et la mort. Mais une fois de plus, rassurons-nous ! Ces compétences spécifiques existent dans nos communautés. Nous pouvons y faire appel pour éclairer notre propre capacité de discernement et de décision.

3. L’appel à mettre sa vie en jeu

C’est la troisième étape de la pédagogie du Christ et le Texte national le rappelle. Cette invitation à faire des choix nous met devant une ultime question : quelle est la finalité de l’initiation chrétienne ? C’est à cette question que je voudrais répondre dans une dernière partie en m’inspirant de l’appel que Jésus adresse à Pierre : « Avance au large ». Les rendez-vous décisifs de notre vie.

La lecture des récits évangéliques nous confronte à un certain nombre de rencontres : le possédé, le lépreux, le paralytique, la femme hémorroïsse, Jaïre, la syro phénicienne, le sourd muet etc. Ces personnages émergent dans le texte et l’essentiel de leur vie se joue en un bref instant, puis ils disparaissent. D’autres personnages du récit, Marie, les disciples, surtout quelques femmes et les douze dont Pierre, accompagnent Jésus sur l’ensemble de son itinéraire. Ce double dispositif est d’une grande actualité. Dans les propositions pour l’organisation de l’action catéchétiques nos évêques notent en effet que nous avons un rapport au temps beaucoup plus morcelé et rapide que les générations précédentes. La participation à une activité revêt souvent un caractère éphémère. Il est de la plus haute importance que nous soyons présents aux moments décisifs de la vie, qu’il s’agisse des passages toujours plus ou moins critiques d’une étape de la vie à une autre ou d’un de ces moments déterminants où l’imprévu change plus ou subitement le cours d’un vie. Ces passages ou ces situations ouvrent soudainement le regard sur la totalité de la vie. Va-t-elle tenir ? Tiendra-t-elle la promesse qui vient de surgir ?

La présence d’un aîné dans la foi à ces carrefours est parfois cruciale. Il peut susciter, voire ressusciter, le crédit fait à la vie, sans jamais se substituer à autrui. Il arrive alors que le bénéficiaire de cette présence se retourne en quelque sorte vers l’aîné de la foi, s’interroge sur celui qui vient de l’engendrer à la confiance, c’est-à-dire à sa propre foi. Il arrive alors que le bénéficiaire se laisser toucher par l’engagement gratuit de ce compagnon de route et se prononce finalement sur l’identité de l’initiateur de la foi qu’est le Christ lui-même. C’est le seuil décisif, le carrefour de Césarée de Philippe où retentit l’appel à avancer au large.

Celui qui a reconnu le Christ peut désormais affronter les rendez-vous ultimes de sa vie avec lui, dans son amitié. Des maturations mystérieuses deviennent possibles. Elles singularisent le chrétien tout en le rendant toujours davantage capable d’entrer en relation avec d’autres. L’initiateur qu’est le Christ conduit ses disciples au cœur du mystère de l’Eglise où davantage de liberté et j’ose dire de solitude produisent davantage de communion entre tous et inversement.

Le mystère ultime de la vie. Nous sommes ici au seuil du mystère pascal qui, selon le Texte national, est au cœur de l’expérience chrétienne. Ici se révèle la finalité de la pédagogie du Christ. Le pédagogue qu’est le Christ s’efface, non pas pour nous laisser seuls mais pour nous rendre libres en passant en nous. Les discours d’adieu selon saint Jean se situent ici. C’est votre avantage que je m’en aille. En effet, si je ne pars pas le Paraclet, l’Esprit ne viendra pas sur vous. On peut penser aussi à l’un des sept, Philippe, qui après avoir baptisé l’eunuque disparaît à ses yeux.

Nous autres aînés dans la foi, nous nous attachons à ceux et celles que nous accompagnons sur le chemin de l’initiation. Et c’est normal et légitime. L’initiateur qu’est le Christ nous apprend cependant à disparaître au bon moment, au profit de la liberté de ceux qu’il nous a confiés. Lui le premier pousse la gratuité de sa présence jusqu’au bout, en s’effaçant. A ses disciples il faut traverser sa pâque et le leur. Sur ce seuil pascal de la pédagogie du Christ, la prière et les sacrements de l’initiation trouvent leur sens ultime. Certes, le désir de prier Dieu émerge en nous quand nous nous apercevons du caractère mystérieux de la vie et il peut se faire plus présent quand nous voyons d’autres prier.

Voyant Jésus prier, ses disciples ont soudainement su dire leur désir enfoui. « Seigneur, apprends-nous à prier ! » Mais cette prière trouve sa forme ultime quand le Christ disparaît à nos yeux dans l’épreuve pascale de la solitude et de la liberté heureuse qui nous relie à lui. Nous pouvons alors découvrir qu’il prie en nous. Son Esprit nous fait crier : « Abba, Père ». La même chose vaut pour le baptême, la confirmation et la Cène. Nous avons passé le seuil du baptême depuis un certain temps, mais c’est au moment des rendez-vous décisifs de notre vie, que nous réalisons que le baptême nous a configurés à l’initiateur qu’est au Christ, désormais caché en nous, parlant à travers nous.

La Cène conduit notre transformation jusqu’au bout en introduisant dans nos relations ce qui fait le cœur de l’itinéraire du Christ : le don de soi au profit du tout-venant. Mais la pédagogie du Christ est discrète, lente et patiente, parce quelle accompagne la vie humaine en toute son étendue et jusqu’au dernier instant. Et quand il se manifeste explicitement dans une vie, parfois soudainement, c’est pour conduire le chrétien vers sa vie quotidienne en toutes ses dimensions. Il se montre toujours pour s’effacer et passer en nous.

Au quotidien, vivre avec le maître intérieur. Pour dire cette présence discrète en nous, le Texte National reprend la désignation du Christ comme maître intérieur. Plus Christ devient notre boussole intérieure, plus nous sommes habités par un sens intérieur d’orientation. Ce sens de la foi, comme dit Vatican II, nous suggère ici et maintenant ce qui convient et nous rend capables de demander en toute liberté conseil à autrui dans les choix essentiels de notre vie. Cette boussole aide chacun à être soi, avec et pour autrui, dans l’Eglise et la société. Et je pense que c’est la fonction catéchétique de l’année liturgique de former ce sens spirituel en nous, de l’entretenir et de le développer. Ce sens est fragile et menacé aujourd’hui par une sorte d’anesthésie. Il n’est jamais acquis une fois pour toutes parce que nous vivons dans l’histoire. Mais chaque nouvelle situation peut l’activer et le développer en nous.

Conclusion

Je conclus. Vous avez dit initiation ? Quand nous lisons les récits évangéliques pour nous mettre à l’école du Christ, nous découvrons une pédagogie dont je voudrais, pour finir, souligner l’humanité incomparable. Le terme initiation la désigne au mieux. L’être humain est en effet radicalement inachevé quand il naît et reste inachevé tout au long de sa vie. Il a besoin des autres, parents, aînés dans la foi et passeurs de toutes sortes pour franchir les seuils essentiels de son existence que personne d’autre ne peut passer à sa place. Ces passeurs ont une tâche d’initiation. Ils nous apprennent à vivre, à tenir debout. Ils nous forment, non pas par le moyen de dressages mais en nous initiant à donner librement forme à notre propre existence. Or, dès le début, la Bible nous montre que nous sommes créés à l’image et à la ressemblance de Celui dont nous n’avons pas le droit de nous faire une image. Nous aimerions tant savoir qui nous sommes et nous ne cessons de nous comparer, de nous faire des images de ceux et celles qui nous sont confiés. Mais les véritables pédagogues, le Christ initiateur en premier, renvoient chacun au mystère unique de son existence, sachant que Dieu se révèle lui-même dans un espace d’hospitalité, où chacun peut trouver grâce à autrui sa véritable place.

Source : http://saintbrieuc-treguier.catholique.fr/A-l-ecole-du-Christ-Initiateur