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De Sarrebruck à Merville, deux synodes en dialogue

Octobre 2014 a vu les 3es sessions du synode diocésain de Trêves à Sarrebruck et du synode provincial à Merville. En tant qu’invité et expert, le théologien Arnaud Join-Lambert met en dialogue ces assemblées, leurs points communs et leurs spécificités.

L’objectif de cette comparaison est de mieux comprendre la synodalité à l’oeuvre aujourd’hui dans l’Église catholique. Dans les deux cas, l’évêque allemand et les cinq évêques français ont choisi la forme prévue dans le Code de droit canonique de l’Église. Ils voulaient ainsi marquer leur prise au sérieux du peuple de Dieu pleinement invité à jouer son rôle pour participer aux décisions épiscopales. Pas d’ersatz1 donc, même si cela engendre des contraintes légales, particulièrement au niveau d’une province ecclésiastique pour un concile provincial (l’appellation officielle selon le Code).

 

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Célébrer
En Allemagne2 comme en France, le synode est “célébré” ! Il ne s’agit pas de n’importe quel rassemblement festif ou assemblée parlementaire. Toute la session est vécue “sous la poussée de l’Esprit saint” (Cérémonial des évêques n° 1169). Le temps est visiblement ponctué de liturgies proprement dites (offices de la liturgie des heures, eucharisties). Mais les travaux en commission ou en assemblée plénière sont aussi perçus comme des moments inspirés, nourris par une ouverture à Dieu et son projet pour l’Église ici et maintenant. À Sarrebruck, une “tente du silence” plantée dans la grande halle manifestait ce primat de l’écoute et de la prière, et invitait chaque membre à entrer dans cette attitude. À Merville, il n’y avait pas un lieu établi pour cela hormis l’oratoire habituel de la maison diocésaine. Par contre, les assemblées plénières se déroulent dans la chapelle au même endroit que les liturgies.
Cette unité de lieu fait percevoir clairement la dimension spirituelle de l’événement. La manière de célébrer l’eucharistie est différente d’un pays à l’autre. À Sarrebruck, Mgr Ackermann, l’évêque diocésain, présidait seul à l’autel. Tous les autres membres du synode formaient l’assemblée (évêques auxiliaires, prêtres, diacres, religieux, religieuses et laïcs). L’eucharistie rend alors manifeste qu’être membre du synode est fondé sur le baptême et la confirmation, sacrements communs à tous. Il s’agit bien ici d’exercer son sacerdoce commun, que l’on soit membre de droit, élu ou invité par l’évêque. Il faut cependant relever que la concélébration systématique n’est pas aussi généralisée en Allemagne qu’en France. 

À Merville, tous les prêtres et les diacres revêtent aube et étole, les évêques avec en plus une chasuble. Cette “marque” montre la séparation entre clercs et laïcs, là où l’unité du peuple de Dieu en synode est pourtant enracinée d’abord sur le baptême. De plus, si la visibilité des diacres est un signe fort de la place du service (du Christ serviteur) dans l’Église, elle risque aussi de provoquer une confusion, puisqu’ils ne célèbrent pas ici différemment des laïcs (sauf celui qui assiste l’évêque).

Est-il possible de faire autrement ? En tout cas, on a pu observer dans cette troisième session des évolutions de choix individuels de place pour les eucharisties, preuve que quelque chose se cherche.


Hésiter
On a observé dans de nombreux synodes que la troisième session est un moment d’incertitude, d’attente, voire de scepticisme, comme en Belgique au synode diocésain de Tournai (2011-2013). Il en est ainsi pour nos deux synodes. Dans la foi, on peut qualifier ce moment de kairos3, une heure particulière et un tournant dans l’histoire grande ou petite, ici un passage décisif pour mener à bien la tâche synodale. À Sarrebruck, des commissions thématiques ont beaucoup travaillé, notamment à partir des consultations préalables. Mais maintenant, elles ne voient pas très bien comment avancer. Certaines d’entre elles semblent même en panne. D’où viendront les impulsions ? De l’évêque ? De l’assemblée plénière ? Des membres des commissions eux-mêmes ?
À Merville, le processus a été construit sans recourir à des commissions thématiques. Les orientations fondamentales votées en octobre sont issues des consultations, discernées et enrichies en assemblées, rédigées par l’équipe de pilotage à partir d’un gros travail individuel des membres du synode pendant l’été 2014. Il semble que le passage vers des propositions concrètes ait dynamisé l’assemblée nordiste. Mais la difficulté d’en choisir parmi des centaines a aussi généré de profondes incertitudes sur la suite. En France, il ne reste plus qu’une session pour finaliser le travail (en janvier 2015) alors que les Allemands ont encore deux sessions (la prochaine en mai 2015). Entrevoir l’issue redonne de l’élan. Mais la perspective de produire des orientations et propositions à la hauteur des défis de la nouvelle évangélisation dans notre Europe sécularisée peut aussi paralyser les membres du synode et les évêques. 

 

Innover
Il est très difficile à tout groupe humain de se renouveler par lui-même sans contrainte extérieure. Pour le dire autrement, l’innovation n’est pas le fort des institutions, qui sont plutôt conservatrices par nature. Que ce soit en Allemagne ou en France, ces sessions synodales montrent la tendance à d’abord penser en amélioration de l’existant. Faire mieux ce que l’on faisait avant, mais avec moins de moyens ! Telle serait la dynamique spontanée de ces processus. Il y a alors un travail sur soi, une conversion, une écoute réelle de ce que l’Esprit dit aux Églises, pour discerner les voies futures de l’annonce de l’Évangile. Cela nécessite de chercher et discerner les renoncements inévitables qui surgiront. Il faut alors mieux se préparer en anticipant, plutôt que de tout subir au dernier moment. 

À Merville, les techniques d’animation les plus rigoureuses furent choisies pour une efficacité dans le bref temps imparti aux travaux en équipes. La parole en assemblées plénières était strictement encadrée, notamment en limitant à deux par membre les prises de paroles annoncées. Il fallait donc se préparer et cibler son propos. À Sarrebruck, la durée était limitée à une minute, mais pas le nombre d’interventions par personne. Certains membres en ont bien profité…

Des techniques au service de l’innovation ne suffisent pas pour inventer l’Église de demain dans un diocèse. D’une part, il faut que cela soit réaliste. Les compétences complémentaires des membres devraient y contribuer.
D’autre part, il faut penser la “réception”, c’est-à-dire la mise en oeuvre par ceux et celles qui n’ont pas participé aux sessions synodales. L’expérience des dernières décennies montre que c’est un des plus grands défis des synodes (voire le premier). Le travail des membres est bien entendu ancré dans leur vécu pastoral concret, mais il doit aussi toujours orienter vers une fécondité à venir avec les autres membres du peuple de Dieu.
Les oublier est une garantie d’échec. Ces “autres” sont aussi les chrétiens non catholiques, défi plus présent au synode de Trêves que dans le nord de la France.


S’étonner
Un Français serait surpris par la manière de désigner les membres en Allemagne. Au synode de Trêves, pour bien marquer l’égalité de tous les membres en dignité et dans l’édification du corps du Christ (comme le proclame Vatican II dans Lumen gentium n° 32), chacun était appelé par Synodale puis son nom propre. Peu importait alors d’être abbé, père, soeur, monsieur, professeur, etc. tous étaient des Synodalen. Voilà
un beau signe tout simple du peuple de Dieu en synode.

Les Allemands ont été d’abord surpris par l’audace de ces trois évêques français de se lancer dans une telle aventure supradiocésaine pour quatre millions d’habitants. Et il y a de quoi s’étonner. Depuis le concile Vatican II, ce n’est que la septième fois qu’un groupe de diocèses entreprend une telle démarche dans le monde (sans compter les synodes pléniers nationaux). 

 

Oser
Au-delà des particularismes bien légitimes, c’est un même élan qui anime ces Églises guidées par leurs pasteurs “sous la poussée de l’Esprit saint”. Pour les privilégiés qui y participent, c’est une expérience très forte du corps du Christ déjà là et encore à bâtir. C’est aussi une responsabilité lourde, qui engage les années à venir des communautés catholiques dans tous ces diocèses. Que l’Église est belle lorsqu’elle déploie ainsi sa synodalité !


Arnaud Join-Lambert
1. Imitation médiocre, sous-équivalent.
2. Voir www.synode.bistum-trier.de
3. Le kairos est le temps de l’occasion opportune.
Il qualifie un moment.